Au hasard du net, je suis tombé récemment sur un jeu de données mis à disposition par l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Il s’agit d’indicateurs quantitatifs sur le « contenu des journaux télévisés diffusés par les six chaînes nationales hertziennes ». Or, j’ai eu l’agréable surprise de découvrir que parmi les thèmes quantifiés par l’INA figure une rubrique « histoire et hommages ». Il n’en fallait pas plus pour que j’entre ces données dans une feuille de calcul et que je m’amuse à créer divers graphiques permettant d’appréhender l’évolution des sujets à connotation historique dans nos journaux télévisés, entre 2006 et 2019.

dans les journaux télévisés et classés dans la rubrique « histoire et hommages ».
La ligne bleue matérialise la moyenne : 175 sujets par trimestre.
source : INA stat.
Ce premier graphique permet de visualiser deux évidences :
- d’une part, la corrélation entre les grandes commémorations et l’inflation de sujets historiques dans les journaux télévisés ;
- d’autre part, le moment exceptionnel de commémorations que nous venons de traverser avec la convergence, entre 2013 et 2019, de plusieurs anniversaires importants liés aux deux conflits mondiaux.
On constate que les cérémonies des commémorations du 6 juin 1944 ont systématiquement l’effet d’un stimulant. Il faut dire qu’elles bénéficient désormais d’une couverture médiatique exceptionnelle en raison de la présence de grands chefs d’État, en particulier américains (Barack Obama en 2014, Donald Trump en 2019) mais aussi de vétérans, de moins en moins nombreux, mais de plus en plus honorés. Ces rendez-vous sont d’autant valorisés par les médias qu’ils servent également de sommets diplomatiques qui parfois s’inscrivent dans un contexte de crise internationale (l’Irak en 2004, l’Ukraine en 2014, la présidence Trump en 2019). Je proposais d’ailleurs, il y a quelques semaines, un fil sur Twitter concernant les liens entre les commémorations, les médias et les relations entre grandes puissances :
Enfin, on remarque que les anniversaires du Débarquement bénéficient dans les médias d’un important effet de traîne puisque des pics s’observent aussi dans les mois qui suivent. Les journaux télévisés produisent en effet de nombreux reportages sur les événements de la Libération postérieurs au Débarquement : la libération de Paris, le débarquement en Provence…

Source : The National Archives and Records Administration
Le centenaire de la Grande Guerre a été un autre temps fort des dernières années qui a « dopé » les sujets historiques dans les journaux télévisés, et cela dès son lancement au 4e trimestre 2013. Si la mobilisation d’août 1914, la bataille de Verdun – si importante dans l’historiographie française – et l’armistice ont été largement traités, l’offensive du Chemin des Dames et les mutineries semblent avoir été un peu plus délaissées. Le pic du 4e trimestre 2017 est, quant à lui, certainement dû au centenaire de la Révolution russe. À titre de comparaison, dans le même temps, entre le 1er octobre et le 31 décembre 2017, Le Monde consacre à cet événement au moins 22 articles (cf. archives du quotidien en ligne). L’exploitation des seules données quantitatives limite cependant l’analyse car il faudrait ici disposer d’un relevé systématique des thèmes diffusés et établir une typologie plus fine des événements évoqués par les rédactions.
Il faut tout de même relativiser la part des sujets historiques dans les journaux télévisés qui ne représentent, selon les trimestres, qu’entre 1,1 % et 4,6 % des reportages (soit une moyenne trimestrielle de 2,3 %). On compte, en effet, sur la période considérée 9 814 séquences relevant de cette rubrique pour un total de 429 327 sujets. Le temps que les émissions d’informations consacrent à l’histoire est également très faible par trimestre : entre 1 minutes 87 (1er trimestre 2019) et 10 minutes 32 (4e trimestre 2013).

dans les journaux télévisés et classés dans la rubrique « histoire et hommages ».
source : INA stat.
Parmi les six grandes chaînes, TF1 et France 2 se détachent très nettement puisqu’elles ont diffusé respectivement 24% et 23% des sujets historiques et/ou commémoratifs, soit presque la moitié (47%) de la totalité des reportages proposés entre 2006 et 2019. Faut-il rappeler que les journaux télévisés de ces deux chaînes sont aussi les plus regardés ? La part d’Arte est cependant un peu plus étonnante en raison de la forte identité « culturelle » de la chaîne. Probablement que sa grille de programme trouve plus facilement des occasions autres que le JT afin d’offrir aux téléspectateurs du contenu historique (documentaires, magazines, soirées thématiques…).

source : INA stat
En conclusion, l’activité de la télévision permet donc de visualiser une « inflation mémorielle » mais, au-delà de cette constatation, elle pose aussi la question du rôle des médias dans cette diffusion de l’histoire. On pourrait ainsi s’interroger sur la prépondérance des deux conflits mondiaux dont la valorisation – et la vulgarisation – se fait, peut-être, aux dépens d’autres thèmes (histoire sociale, histoire des sciences…) ou périodes historiques (Antiquité, Moyen Âge, époque moderne, Révolution française, XIXe siècle…). Il est vrai que les chaînes de télévision répondent aussi, en traitant des guerres mondiales, à une demande importante du public et des politiques. Ces derniers, tout comme les « experts », y trouvent également une tribune non négligeable. Mais là encore, les seules chiffres ne peuvent répondre définitivement à ces questions qui mériteraient une étude qualitative plus fouillée.
Pour aller plus loin :
- Fleury-Vilatte Béatrice, « Comment la télévision écrit et réécrit l’Histoire », dans Communication et langages, n°116, 2e trimestre 1998, p. 29-38 ;
- Veyrat-Masson, Isabelle. « Au cœur de la télévision : l’histoire », dans Le Débat, vol. 177, n°5, 2013, pp. 96-109 ;
- Veyrat-Masson, Isabelle, Quand la télévision explore le temps. L’histoire au petit écran 1953-2000, Paris, Fayard, 2000 ;
- Veyrat-masson, Isabelle, « Panorama de l’histoire à la télévision française » dans Recherches en Communication, n°14, Télévision et histoire, p. 103-112 ;
- Niemeyer, Katharina, « Le journal télévisé entre histoire, mémoire et historiographie », dans A contrario, vol. 13, n° 1, 2010, p. 95-112.
- Quellien, Jean, « Un atout pour le tourisme régional. La mémoire du Débarquement et de la Bataille de Normandie de 1945 à nos jours », dans Jean-Luc Leleu (dir.), Le Débarquement. De l’événement à l’épopée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 227-240.
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