Les détenus du Mont Saint-Michel, 1792-1864

À l’occasion de la sortie dun nouvel ouvrage, La prison du Mont Saint-Michel, 1792-1864, aux éditions Lemme Edit, je vous propose un court billet et une petite infographie afin de vous présenter les détenus qui peuplent l’ancienne abbaye bénédictine, devenue une maison centrale, de la Révolution française au Second Empire1.

Entre novembre 1789 et mars 1790, les moines sont expulsés du monastère. En 1793, l’abbaye accueille 300 prêtres réfractaires. En avril 1795, ces premiers détenus ont tous été libérés. Mais, à partir de novembre 1795, le district d’Avranches y envoient d’autres ecclésiastiques ainsi que des personnes suspectées de chouannerie. À l’été 1797, les détenus de toutes les prisons du département y sont incarcérés, membres du clergé, hommes, femmes et même des enfants. En 1800, la prison du Mont Saint-Michel abrite, selon le sous-préfet d’Avranches, près de cent détenus2. Ils sont 200 en 18133. Entre la fin de l’année 1797, date de l’arrivée des premiers prisonniers envoyés par le district d’Avranches, et 1815, 248 individus décèdent à la maison de détention4. Ils sont, pour la plupart (82 %) originaires de la Manche mais certains viennent des départements limitrophes, plus précisément du Calvados (3 %), de l’Orne (1 %) et de l’Ille-et-Vilaine (1 %). Les femmes représentent 25 % de l’effectif.

Infographie La Maison centrale du Mont Saint-Michel (© LaContempo.fr - Jérémie Halais, 2022).

Les détenus de la maison centrale

Début juin 1811, alors qu’il visite Cherbourg, Napoléon signe un décret impérial transformant l’établissement en maison centrale5. On y renferme alors « tous les condamnés des deux sexes, tant correctionnellement que par la cour d’assises, à l’exception des seuls condamnés aux fers qui sont envoyés aux différents bagnes6 ». À partir de 1817, la prison du Mont Saint-Michel connaît un accroissement considérable de sa population carcérale : 266 détenus en septembre 1817, 488 en juillet 1818, 591 en décembre 18197. Ces personnes viennent encore majoritairement de la Manche (58 %) mais aussi de départements du grand ouest : la Sarthe (8 %), les Côtes-du-Nord (7,5 %), le Finistère (7,5 %), l’Orne (6 %), la Mayenne (5 %) et le Morbihan (3 %).

Au début de 1822, 114 femmes sont évacuées vers les prisons de Rennes, de Fontevraud et de Beaulieu8. Par la suite, le nombre de pensionnaires augmente de nouveau. Ils sont 673 en janvier 1824, 772 en janvier 1828. Néanmoins, le Mont Saint-Michel reste loin derrière Clairvaux ou Fontevraud qui comptent respectivement 1 400 et 1 000 détenus, en 18199. Les chiffres restent élevés jusqu’en 1861 avec une moyenne de 675 individus enfermés. L’augmentation des effectifs n’est pas sans conséquence sur la vie quotidienne des condamnés, sur le maintien de la discipline ou l’administration de l’établissement ou encore l’aménagement des bâtiments. Les flux sont également importants. En moyenne, chaque année, 300 prisonniers sont accueillis dans l’établissement et 313 autres sont libérés ou transférés, soit presque la moitié de l’effectif qui est renouvelé tous les ans.

La disparition des registres d’écrou en 1944 complique l’étude de la population carcérale. Mais cette difficulté peut heureusement être surmontée grâce au croisement de plusieurs sources. J’ai ainsi constitué un fichier de 637 noms à partir des tables de successions du bureau de l’enregistrement de Pontorson et des actes de décès de l’état civil du Mont Saint-Michel10. La population de la prison se compose majoritairement d’hommes jeunes, issus du secteur agricole (39 %) et de l’industrie (32 %). Sans surprise, les prisonniers n’appartiennent pas aux couches sociales les plus favorisées. Ils sont commerçants ou artisans (27 %), ouvriers, marins, soldats ou domestiques (23 %), exploitants agricoles (21 %) ou ouvriers agricoles (18 %).

Jusqu’à sa fermeture, la prison demeure un établissement où sont essentiellement envoyés des condamnés bretons (64 % des prisonniers décédés). Ils sont originaires des Côtes-du-Nord (33 %) et du Finistère (29 %) mais aussi, dans une moindre mesure, d’Ille-et-Vilaine (14 %) et du Morbihan (5 %). Hormis les Manchois, qui forment un groupe non négligeable (10 %), les autres détenus viennent de 52 départements métropolitains (18 %), voire pour quelques-uns de la Guadeloupe ou de la Martinique (2 %), des colonies ou de pays étrangers (6 %).

Que reproche-t-on aux condamnés ordinaires incarcérés au Mont Saint-Michel ? Pour répondre à cette question, nous ne disposons malheureusement que des statistiques pénitentiaires publiées sous le Second Empire. En 1853, la maison centrale renferme 25 criminels ou délinquants condamnés pour des crimes contre la sûreté de l’État (4 %), 322 pour des atteintes aux biens (48 %), 161 pour des crimes ou des délits commis envers des personnes (24 %) et 163 soldats jugés par les tribunaux militaires (24 %)11. À partir de 1856, les recueils du ministère de l’Intérieur détaillent plus précisément les crimes et délits à l’origine de la condamnation. Ainsi, pour l’année 1862, ce sont surtout des faits mineurs qui sont sanctionnés : la rupture de ban (31 %) – c’est-à-dire, pour un ancien détenu, une infraction à la surveillance –, la mendicité (17 %), le vagabondage (12 %) et le vol (9 %). Les crimes violents les plus représentés sont l’assassinat (8 %) et le viol (6 %).

Prisonniers politiques et militaires

La maison centrale héberge également une population de prisonniers politiques. En 1817, le Mont Saint-Michel est désigné pour garder 77 déportés condamnés pour des raisons politiques. Mais très vite leurs effectifs baissent. Ils ne sont plus que 47 en 1821 et 21 en 182912. Entre 1833 et 1836, après la chute de Charles X, la prison est le lieu de détention de 76 prisonniers légitimistes et républicains13, puis, entre 1839 et 1844, de 34 républicains, dont les célèbres Armand Barbès et Auguste Blanqui14. Enfin, entre 1849 et 1853, une cinquantaine de forçats, incarcérés pour des raisons politiques par le Second Empire, purgent là leur peine15.

Il existe aussi au Mont une forte population de militaires incarcérés dans le quartier des fers ouvert en 1844, après le transfert des détenus républicains. En juillet 1845, 78 soldats sont amenés de Toulon au Mont Saint-Michel16. Ils sont 142 en juin 184917. Un rapport du directeur d’août 1845 précise que sur 108 soldats, 70 % sont alors condamnés à des peines courtes, cinq ou six ans de prison18. Les condamnés aux travaux forcés quittent progressivement le Mont à partir de 1852. Les condamnés civils sont envoyés en Guyane et les militaires en Algérie. Les états de population en recensent 242 au 1er janvier 1852, soit 36 % de la population. En avril 1855, la presse locale annonce de départ de 82 soldats condamnés19. Les forçats ne sont plus que 31 en 1856 (4 %) et seulement 2 en 186420.


1 Halais, Jérémie, La prison du Mont Saint-Michel, 1792-1864, Lemme Edit, 2022.

2 Arch. nat., F16 705, rapport du sous-préfet au préfet, 22 nov. 1800.

3 Arch. nat., F1C III Manche 6, rapport du ministre de l’Intérieur, 8 oct. 1813.

4 AD50, état civil du Mont Saint-Michel, registres des décès, 1797-1815.

5 Gazette nationale, 12 juin 1811.

6 Arch. nat., F16 364, questions sur l’état des maisons centrales de détention, 1er sept. 1812.

7 Pour la Restauration, les états de la population sont conservés aux Archives nationales (F16 354/B, 355/B et 410). Ces états et mouvements peuvent être complétés par des rapports, en particulier Decazes, É., Rapport au roi sur les prisons et pièces à l’appui du rapport, 4 mai 1819, Paris, 1820.

8 Arch. nat., F16 355/A, lettre du préfet au directeur de l’administration départementale et communale, 10 déc. 1821.

9 Decazes, É., Rapport au roi sur les prisons… op. cit.

10 Nous avons relevé sur les tables des successions produites par le bureau de l’enregistrement de Pontorson (AD50, 3 Q 6446 à 6451) tous les décès concernant les hommes spécifiquement mentionnés comme « détenu ». Une fois ces individus identifiés, nous avons consulté sur les registres de l’état civil du Mont Saint-Michel, leurs actes de décès afin de déterminer pour chacun des prisonniers sa profession, son âge et son origine géographique.

11 Arch. nat., F16 354/B, rapport au directeur de l’administration départementale et communale, 1er mars 1821 ; F16 365, rapport de l’inspecteur La Ville de Mirmont au ministre de l’Intérieur, 5 sept. 1829.

12 Arch. nat., F16 411, tableau général des condamnés politiques, 1er nov. 1834 ; L’Hommedé, E., Le Mont Saint-Michel. Prison politique sous la monarchie de Juillet, Paris, Boivin et Cie, 1932, p. 160-171.

13 Halais, Jérémie, La prison du Mont… op. cit., p. 139-152.

14 Ministère de l’Intérieur, Statistique des établissements pénitentiaires… op. cit., 1852, p. 16.

15 Ministère de l’Intérieur, Statistique des établissements pénitentiaires… op. cit., 1853.

16 Journal d’Avranches, 13 juil. 1845.

17 AD50, 1 Z 593, lettre du directeur au sous-préfet, 10 juin 1849.

18 AD50, 1 Z 594, rapport du directeur au ministre de l’Intérieur, 29 août 1845.

19 Journal d’Avranches, 1er avril 1855.

20 Ministère de l’Intérieur, Statistique des établissements pénitentiaires… op. cit., 1852-1864.

Verdun, 1916

Cette infographie revient sur la chronologie et la géographie de la bataille de Verdun. L’affrontement, qui oppose les troupes françaises et allemandes, est le plus long de la Grande Guerre – 10 mois de combats entre le 21 février et le 18 décembre 1916 – mais aussi l’un des plus emblématiques du premier conflit mondial.

Verdun, 1916, Dix mois de combats
Infographie - LaContempo.fr

Pour aller plus loin :

Jérémie Halais – 2021 –  LaContempo.fr

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7 Décembre 1941, Pearl Harbor

« Hier, 7 décembre 1941 — une date qui restera à jamais marquée dans l’Histoire comme un jour d’infamie — les États-Unis d’Amérique ont été attaqués délibérément par les forces navales et aériennes de l’empire du Japon« , voici comment le président démocrate des États-Unis, Franklin D. Roosevelt, débute le discours qu’il prononce devant le Congrès américain le 8 décembre 1941. Pearl Harbor est sans aucun doute l’un des grands tournants de la seconde guerre mondiale. Car si l’attaque japonaise est une réussite tactique, ses implications stratégiques — et notamment l’entrée en guerre des États-Unis aux côtés du Royaume-Uni et de l’Union soviétique — bouleverse l’équilibre des forces.

À l’occasion du 80e anniversaire de cette bataille, LaContempo.fr vous propose donc une infographie originale sur les causes de l’événement, ses résultats et ses conséquences.

Infographie – 7 décembre 1941 – LaContempo.fr

Pour aller plus loin :

  • Conn Stetson, Engelman C. Rose, Fairchild Byron, Guarding The united States and its outposts, Washington DC, Center of military history, 2000 ;
  • Delmas Claude, Pearl Harbor, la guerre devient mondiale, Paris, Complexe, 1999 ;
  • Harter Hélène, Pearl Harbor : 7 décembre 1941, Paris, Tallandier, 2011 ;
  • Morton, Louis, United States Army in WWII. The Pacific. Strategy and Command : the first two years, Washington DC, Center of military history, 2000 ;
  • id., « Japan’s decision for war », dans Kent Roberts Greenfield (dir.), Command decisions, Washington DC, Center of military history department of the army, 2000 ;
  • Reports of general Mac Arthur. The campaigns of MacArthur in the Pacific, Washington DC, Library of Congress, 1994 (rééd.) ;
  • Williams Mary H., United States Army in world war II. Special Studies. Chronology, 1941-1945, Washington DC, Center of military history, 1989 ;
  • Documents diplomatiques de l’entre-deux-guerres transcrits par le Mount Holyoke College ;
  • Nara, Photograph of Japanese Chart of Pearl Harbor Captured from Japanese Sub (12009111), Photograph of Map of Pearl Harbor (12009088).

Jérémie Halais – 2021 –  LaContempo.fr

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Le 11 septembre 2001, les États-Unis ébranlés

Il y a vingt ans, les États-Unis étaient frappés par un attentat terroriste inédit par sa forme et par sa violence. L’événement a marqué la mémoire occidentale. Le 11 septembre 2001 est probablement devenue une date clef de la période contemporaine. D’ailleurs, certains analystes et hommes politiques se sont risqués à rapprocher cette catastrophe de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, le 7 décembre 1941[1]. Certes, comparaison n’est pas toujours raison, d’autant que la formule offre indéniablement un raccourci utile pour qui cherche un effet de communication. Toutefois, elle n’en témoigne pas moins de l’impact de cette tragédie sur la conscience collective. Cette infographie revient donc sur le choc vécu lors de cette journée mais aussi sur ses conséquences humaines et, à plus long terme, géopolitiques.

11 septembre 2001, les États-Unis ébranlés - une infographie de LaContempo.fr - 2021

Pour aller plus loin :

Jérémie Halais – 2020 – LaContempo.fr


[1] Voir par exemple cette intervention du président Georges W. bush sur CBS News ou encore cet ouvrage de David Ray Griffin et Pierre-Henri Bunel intitulé Le nouveau Pearl Harbor. 11 septembre : questions gênantes à l’administration Bush.

Les commémorations au prisme des relations internationales

Ce Web-documentaire vous propose un résumé de 75 années d’histoire des commémorations du débarquement du 6 juin 1944, sur fond de Guerre Froide, de décolonisation, de construction européenne, de crises internationales mais aussi de rendez-vous diplomatiques, historiques, mémoriels et surtout médiatiques…

Vous y croiserez les présidents de la République française, de Vincent Auriol à Emmanuel Macron, les dirigeants américains : Dwight D. Eisenhower, Lyndon B. Johnson, Jimmy Carter, Ronald Reagan, Bill Clinton, George W. Bush, Barack Obama et Donald Trump mais aussi Vladimir Poutine, Helmut Kohl et Gerhard Schröder…

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Saint-Lô 39|45, le web-documentaire

Le web-documentaire Saint-Lô 39|45 vous propose de plonger dans le quotidien d’une petite ville normande de la déclaration de guerre aux lendemains de la Libération.

Quelle fut la vie des Saint-Lois durant le conflit ? Comment ont-ils vécu le départ au front et la drôle de guerre ? Face à l’Occupation, quels ont été leurs comportements ? Quel a été le coût de la Libération ?

Ce travail est l’adaptation d’un mémoire de maîtrise soutenu en 2005 et d’un ouvrage paru aux éditions Orep en 2019. Il est le fruit de recherches menées depuis une quinzaine d’années dans les fonds d’archives de la période 1939-1945, aux archives départementales de la Manche, du Calvados et de Seine-Maritime, aux Archives nationales et au Service historique de la Défense.

Visionner en plein écran.

L’Histoire au journal télévisé, 2006-2019

Au hasard du net, je suis tombé récemment sur un jeu de données mis à disposition par l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Il s’agit d’indicateurs quantitatifs sur le « contenu des journaux télévisés diffusés par les six chaînes nationales hertziennes ». Or, j’ai eu l’agréable surprise de découvrir que parmi les thèmes quantifiés par l’INA figure une rubrique « histoire et hommages ». Il n’en fallait pas plus pour que j’entre ces données dans une feuille de calcul et que je m’amuse à créer divers graphiques permettant d’appréhender l’évolution des sujets à connotation historique dans nos journaux télévisés, entre 2006 et 2019.

Nombre de sujets diffusés par trimestre, entre 2006 et 2019
dans les journaux télévisés et classés dans la rubrique « histoire et hommages ».
La ligne bleue matérialise la moyenne : 175 sujets par trimestre.
source : INA stat.

Ce premier graphique permet de visualiser deux évidences :

  • d’une part, la corrélation entre les grandes commémorations et l’inflation de sujets historiques dans les journaux télévisés ;
  • d’autre part, le moment exceptionnel de commémorations que nous venons de traverser avec la convergence, entre 2013 et 2019, de plusieurs anniversaires importants liés aux deux conflits mondiaux.

On constate que les cérémonies des commémorations du 6 juin 1944 ont systématiquement l’effet d’un stimulant. Il faut dire qu’elles bénéficient désormais d’une couverture médiatique exceptionnelle en raison de la présence de grands chefs d’État, en particulier américains (Barack Obama en 2014, Donald Trump en 2019) mais aussi de vétérans, de moins en moins nombreux, mais de plus en plus honorés. Ces rendez-vous sont d’autant valorisés par les médias qu’ils servent également de sommets diplomatiques qui parfois s’inscrivent dans un contexte de crise internationale (l’Irak en 2004, l’Ukraine en 2014, la présidence Trump en 2019). Je proposais d’ailleurs, il y a quelques semaines, un fil sur Twitter concernant les liens entre les commémorations, les médias et les relations entre grandes puissances :

Enfin, on remarque que les anniversaires du Débarquement bénéficient dans les médias d’un important effet de traîne puisque des pics s’observent aussi dans les mois qui suivent. Les journaux télévisés produisent en effet de nombreux reportages sur les événements de la Libération postérieurs au Débarquement : la libération de Paris, le débarquement en Provence…

Le président français, François Mitterand et le président américain, Ronald Reagan, à Colleville-sur-Mer, en 1984 lors des commémorations du Débarquement.
Source : The National Archives and Records Administration

Le centenaire de la Grande Guerre a été un autre temps fort des dernières années qui a « dopé » les sujets historiques dans les journaux télévisés, et cela dès son lancement au 4e trimestre 2013. Si la mobilisation d’août 1914, la bataille de Verdun – si importante dans l’historiographie française – et l’armistice ont été largement traités, l’offensive du Chemin des Dames et les mutineries semblent avoir été un peu plus délaissées. Le pic du 4e trimestre 2017 est, quant à lui, certainement dû au centenaire de la Révolution russe. À titre de comparaison, dans le même temps, entre le 1er octobre et le 31 décembre 2017, Le Monde consacre à cet événement au moins 22 articles (cf. archives du quotidien en ligne). L’exploitation des seules données quantitatives limite cependant l’analyse car il faudrait ici disposer d’un relevé systématique des thèmes diffusés et établir une typologie plus fine des événements évoqués par les rédactions.

Il faut tout de même relativiser la part des sujets historiques dans les journaux télévisés qui ne représentent, selon les trimestres, qu’entre 1,1 % et 4,6 % des reportages (soit une moyenne trimestrielle de 2,3 %). On compte, en effet, sur la période considérée 9 814 séquences relevant de cette rubrique pour un total de 429 327 sujets. Le temps que les émissions d’informations consacrent à l’histoire est également très faible par trimestre : entre 1 minutes 87 (1er trimestre 2019) et 10 minutes 32 (4e trimestre 2013).

% de sujets diffusés par trimestre, entre 2006 et 2019
dans les journaux télévisés et classés dans la rubrique « histoire et hommages ».
source : INA stat.

Parmi les six grandes chaînes, TF1 et France 2 se détachent très nettement puisqu’elles ont diffusé respectivement 24% et 23% des sujets historiques et/ou commémoratifs, soit presque la moitié (47%) de la totalité des reportages proposés entre 2006 et 2019. Faut-il rappeler que les journaux télévisés de ces deux chaînes sont aussi les plus regardés ? La part d’Arte est cependant un peu plus étonnante en raison de la forte identité « culturelle » de la chaîne. Probablement que sa grille de programme trouve plus facilement des occasions autres que le JT afin d’offrir aux téléspectateurs du contenu historique (documentaires, magazines, soirées thématiques…).

% de sujets classés dans la rubrique « histoire et hommages » par chaîne de télévision, 2006-2019.
source : INA stat

En conclusion, l’activité de la télévision permet donc de visualiser une « inflation mémorielle » mais, au-delà de cette constatation, elle pose aussi la question du rôle des médias dans cette diffusion de l’histoire. On pourrait ainsi s’interroger sur la prépondérance des deux conflits mondiaux dont la valorisation – et la vulgarisation – se fait, peut-être, aux dépens d’autres thèmes (histoire sociale, histoire des sciences…) ou périodes historiques (Antiquité, Moyen Âge, époque moderne, Révolution française, XIXe siècle…). Il est vrai que les chaînes de télévision répondent aussi, en traitant des guerres mondiales, à une demande importante du public et des politiques. Ces derniers, tout comme les « experts », y trouvent également une tribune non négligeable. Mais là encore, les seules chiffres ne peuvent répondre définitivement à ces questions qui mériteraient une étude qualitative plus fouillée.

Pour aller plus loin :

  • Fleury-Vilatte Béatrice, « Comment la télévision écrit et réécrit l’Histoire », dans Communication et langages, n°116, 2e trimestre 1998, p. 29-38 ;
  • Veyrat-Masson, Isabelle. « Au cœur de la télévision : l’histoire », dans Le Débat, vol. 177, n°5, 2013, pp. 96-109 ;
  • Veyrat-Masson, Isabelle, Quand la télévision explore le temps. L’histoire au petit écran 1953-2000, Paris, Fayard, 2000 ;
  • Veyrat-masson, Isabelle, « Panorama de l’histoire à la télévision française » dans Recherches en Communication, n°14, Télévision et histoire, p. 103-112 ;
  • Niemeyer, Katharina, « Le journal télévisé entre histoire, mémoire et historiographie », dans A contrario, vol. 13, n° 1, 2010, p. 95-112.
  • Quellien, Jean, « Un atout pour le tourisme régional. La mémoire du Débarquement et de la Bataille de Normandie de 1945 à nos jours », dans Jean-Luc Leleu (dir.), Le Débarquement. De l’événement à l’épopée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 227-240.

L’Expédition d’Égypte, 1798-1801

Le 19 mai 1798, une flotte imposante quitte le port de Toulon en direction de l’Orient. Ses objectifs sont de débarquer en Égypte pour nuire aux intérêts britanniques mais aussi de poser les bases d’une présence française plus pérenne. L’expédition d’Égypte est un moment clé de l’histoire contemporaine pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette aventure coloniale conclut la Révolution française qui s’était pourtant ouverte sur de grands idéaux. Elle participe ensuite à l’ascension politique du général Bonaparte alors même qu’elle constitue indéniablement un échec diplomatique et militaire. L’histoire du corps expéditionnaire après le départ de Bonaparte, le 23 août 1799, est d’ailleurs souvent ignorée par les grandes synthèses historiques. Enfin, Bonaparte emmène avec lui près de 180 savants, artistes et hommes de lettres qui œuvrent à une meilleure compréhension de l’Égypte ancienne mais aussi à bâtir la légende de l’expédition.

L’expédition d’Égypte, 1798-1801 (© Jérémie Halais – 2020 – LaContempo.fr)

Pour en savoir plus :

  • Biard M., Bourdin P., Marzagallis S., Révolution, Consulat et Empire (1789-1815), Paris, Belin, coll. Histoire de France, 2014 ;
  • Bonaparte N., Lenz Th. (présentation), Mémoires de Napoléon : tome 2. La campagne d’Égypte, 1798-1799, Paris, Tallandier, Texto, 2016 ;
  • Boudon J.-O., La campagne d’Égypte, Paris Belin, 2018 ;
  • Laurens H., L’expédition d’Égypte, 1798-1801, Paris, Éditions du Seuil, 1997 ;
  • Rothenberg G. E., Les guerres napoléoniennes, 1796-1815, Paris, Autrement, 2000.

Recherches et conception : Jérémie Halais – 2020 –  LaContempo.fr

1914-1918, des médailles et des citations

Dans un précédent billet, je vous expliquais comment j’ai dépouillé plus de 4000 fiches matricules pour la rédaction de ma thèse de doctorat. Je vous propose aujourd’hui un exemple concret d’exploitation de la base de données qui a été constituée à cette occasion en analysant les statistiques relatives aux récompenses des soldats entre 1914 et 1918.

Durant la Grande Guerre, les principales distinctions sont la Légion d’honneur et la médaille militaire, respectivement créées en 1802 et 1852. En 1915, la création d’une troisième médaille, plus « démocratique », car sans quota et sans distinction de grade, est votée par le Parlement. Il s’agit de la Croix de guerre[1].

En outre, accompagnées ou non d’une décoration, l’armée octroie aussi des citations. Celles-ci soulignent une conduite considérée comme exemplaire par l’autorité. Destinées à l’origine à être lues à l’ordre du jour de l’armée et publiées au Journal officiel, elles sont aussi distribuées à des niveaux inférieurs, « à l’ordre » du corps d’armée, de la division ou du régiment[2]. Toutes ces récompenses, décorations et citations, figurent sur les registres matricules et je les ai donc intégrées à mon fichier.

A priori, l’idée était de disposer d’un indicateur objectif pour mesurer le comportement des soldats de mon échantillon. Autrement dit, l’idée de base était que les décorations et citations permettaient de mesurer la combattivité ou l’obéissance des hommes. Mais, en y regardant de plus près, j’ai très vite compris que ces données me donnaient plus d’informations sur ceux qui donnent les ordres que sur ceux qui les reçoivent. Explications…

Récompenses et comportements

Les récompenses peuvent être lues de deux façons différentes. Soit, l’observateur considère qu’elles traduisent, sans aucun filtre, la « conduite du combattant[3] ». Soit, il aborde ces récompenses du point de vue de l’autorité, car il ne faut pas perdre de vue qu’elles sont attribuées sur proposition des supérieurs hiérarchiques[4], et qu’elles sont pour l’institution un outil de « gestion morale de l’esprit combattant », de maintien du « lien hiérarchique[5] » ou encore, pour les officiers, un « moyen d’action psychologique[6] ». C’est notamment cette fonction de maintien de la cohésion des troupes qui explique la chronologie des attributions des citations[7]. En effet, comment expliquer, sinon, qu’elles sont de plus en plus distribuées entre 1914 et 1918, alors même que les combats les plus meurtriers se déroulent au début du conflit ?

Chronologie des citations attribuées aux soldats du recrutement de Granville

Dans cette optique, le vocabulaire employé dans les 328 citations obtenues par les combattants de notre échantillon permet de se faire une idée succincte des qualités attendues chez un bon soldat[8]. Un tiers de ces textes désignent ainsi leurs récipiendaires comme des « modèles ». Un « bon soldat » est un « bel exemple » ou encore « un excellent soldat » ayant fait preuve d’une « superbe conduite » ou d’une « belle attitude au feu ». Dans 66 % des cas, ces récompenses valorisent avant tout le « courage », la « bravoure » ou « la vaillance »[9]. Le « dévouement » (32 %) est la seconde notion la plus répandue et au moins deux témoignages confirment qu’elle est effectivement appréciée par les officiers. Le 17 mai 1915, le soldat Julien Carnet annonce ainsi à sa femme que « le commandant nous a rassemblés et en termes très bons nous a félicités et remerciés de notre dévouement[10] ». Autre exemple, le 19 avril 1917, le lieutenant Victor Dupont rapporte les propos de son colonel à son sujet : « Toutes les fois que j’ai parlé de vous à ceux sous les ordres de qui vous vous êtes trouvés, ils m’ont fait des éloges de vous, me disant que vous vous comportiez très bien en toutes circonstances et faisiez preuve d’activité et de dévouement[11] ». Viennent ensuite d’autres valeurs telles que le « sang-froid » (22 %), « l’entrain » (18 %) et, plus rarement, « l’endurance » ‒ au sens de résistance, de ténacité –, « l’intelligence » et la « modestie ».

La typologie des gestes récompensés pour les Normands est la même que celle observée par Jules Maurin dans son échantillon languedocien[12]. Il s’agit de faits d’armes – assistance aux blessés, récupération de corps, conquête d’un point adverse, résistance à une attaque, coup de main – et de la reconnaissance de l’expérience ou du temps passé au front. Les blessures motivent encore 34 % des citations. D’ailleurs, comme le remarque Xavier Boniface, il est significatif que lors des débats à la Chambre sur la création de la Croix de guerre, il était initialement envisagé de l’attribuer systématiquement à tous les blessés[13]. De fait, la part des victimes, soldats blessés ou morts pour la France, est très importante dans cette catégorie de soldats (70 %).

Qui récompense-t-on ?

Les décorés et/ou cités représentent 19 % des mobilisés du bureau de recrutement que nous avons étudié[14]. Leur proportion est légèrement inférieure dans le nord Cotentin (16 % au bureau de recrutement de Cherbourg) et dans les subdivisions languedociennes : 11 % pour Béziers et 12 % pour Mende[15]. Les affectations expliquent certainement la disparité entre les soldats du recrutement de Granville et ceux de Cherbourg : les fantassins étant plus nombreux dans le premier que dans le second. La différence de récompensés entre l’échantillon de Jules Maurin et le mien tient peut-être à un procédé de dépouillement différent ou peut-être aussi aux préjugés que les officiers peuvent avoir envers les soldats méridionaux[16].

L’attribution en grand nombre de citations aux blessés explique en partie le profil des décorés et/ou cités. Les récompensés sont relativement nombreux dans l’agriculture (20 %), et particulièrement chez les exploitants agricoles (22 %). Leur proportion est encore importante dans l’infanterie (23 %) et dans la cavalerie (30 %), c’est-à-dire les deux armes où sont mobilisés prioritairement les agriculteurs et qui sont aussi, faut-il le rappeler, les plus exposées aux dangers.

Récompensés du recrutement de Granville par armes,
en bleu la part des soldats décorés et/ou cités.

Les taux de décorés et/ou cités sont également conséquents dans le secteur tertiaire (23 %), chez les employés (22 %) et les cadres (25 %). On observe ici les effets d’une pratique consistant à décerner presque systématiquement des distinctions aux officiers. Sur les 197 officiers, pour lesquels nous avons dépouillé les fiches matricules, 126, soit 64 %, sont cités et 120, soit 61 %, sont décorés de la Légion d’honneur.

Récompensés du recrutement de Granville par secteurs d’activités,
en bleu la part des soldats décorés et/ou cités.

Prises en l’état, les données relatives aux récompenses ne permettent qu’imparfaitement d’apprécier les comportements car elles reflètent d’abord les choix de l’institution et de ses officiers. Instrument de gestion du moral, du maintien de la cohésion des troupes, celles-ci sont largement distribuées aux effectifs les plus éprouvés. Toutefois, et pour cette raison, ne nous fournissent-elles pas, en creux, un indice quant à la progression d’un certain sentiment de lassitude dans l’opinion combattante ?


[1] Fournier, Henry-Jean, « La genèse de la croix de guerre », dans Rémy Porte et Alexis Neviaski (dir.), Croix de guerre. Valeur militaire. La marque du courage, Paris, LBM-SHD, 2005, p. 15.

[2] Porte, Rémy, « Citation », dans François Cochet, Rémy Porte (dir.), Dictionnaire de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Robert Laffont, 2008, p. 247.

[3] Maurin, Jules, Armée, guerre et société : soldats languedociens, 1889-1919, Paris, Publications de la Sorbonne, 1982, p. 509-510.

[4] Boniface, Xavier, « Décorer les militaires (XIXe-XXe siècles) », dans Brunon Dumons et Gilles Pollet (dir.), La Fabrique de l’Honneur. Les médailles et les décorations en XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 107-108.

[5] Saint-Fuscien, Emmanuel, À vos ordres ? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, Paris, Éditions de l’École des hautes en sciences sociales, 2011, p. 222.

[6] Maurin, Jules, Armée, guerre et société… op. cit., p. 521. Olivier Ihl insiste sur le rôle des distinctions dans la gestion des ressources humaines d’une organisation et n’hésite pas à parler de « management honorifique » (Ihl, Olivier, « Gouverner par les honneurs. Distinctions honorifiques et économique politique dans l’Europe du début du XIXe siècle », dans Genèses, n° 55, 2004, p. 15).

[7] Xavier Boniface remarque également la hausse des attributions en 1917 et 1918 et en déduit qu’elle « révèle un enjeu » pour l’institution (Boniface, Xavier, « Décorer les militaires… op. cit. », p. 111).

[8] L’analyse lexicographique est facilitée par le style de rédaction des citations. À ce propos, Jules Maurin remarque que la « forme et le vocabulaire sont les mêmes pour tous les soldats cités. Certaines sont laconiques, d’autres plus étoffées, les unes comme les autres soulignant tantôt un fait particulier, tantôt une attitude exceptionnelle dans les termes et une phraséologie largement stéréotypée » (Maurin, Jules, Armée, guerre et société… op. cit., p. 512).

[9] La fréquence des termes liés à la notion de courage et qui sont rencontrés dans les 310 citations de l’échantillon est la suivante : « courage » (69), « brave » (44), « courageux » (43), « bravoure » (34), « bravement » (10), « vaillamment » (6), « courageusement » (5), « vaillance » (2), « courageuse » (1), « intrépidité » (1), « cran » (1), « crânement » (1).

[10] Arch. dép. Manche, fonds Carnet, 1 J 232, correspondance de Julien Carnet, 17 mai 1915.

[11] Arch. dép. Manche, fonds Lecacheux, 136 J, correspondance de Victor Dupont, 19 avril 1917.

[12] Maurin, Jules, Armée, guerre et société… op. cit., p. 514-515.

[13] Boniface, Xavier, « Décorer les militaires… op. cit. », p. 110.

[14] Dans le détail, l’échantillon compte 237 décorés, soit 15 % des mobilisés et 289 cité, soit 19 % des soldats appelés sous les drapeaux.

[15] Maurin, Jules, Armée, guerre et société… op. cit., p. 511-522.

[16] Yann Lagadec cite de nombreux soldats bretons dénigrant les Méridionaux (Lagadec, Yann, « L’approche régionale, quelle pertinence ? », dans Michaël Bourlet, Yann Lagadec, Erwan Le Gall (dir.), Petites patries dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 45-51). Concernant les stéréotypes à l’encontre des Méridionaux, voir Le Naour, Jean-Yves, « La faute aux “Midis” : la légende de la lâcheté des méridionaux au feu », dans Annales du Midi, octobre-décembre 2000, p. 499-515 ; Le Naour, Jean-Yves, Désunion nationale. La légende noire des soldats du midi, Paris, Editions Vendémiaires, 2011, 188 p. ; Cabanel, Patrick, Vallez, Maryline, « La haine du Midi : l’antiméridionalisme dans la France de la Belle Époque », dans Claudine Vassas (dir.), Les suds. Construction et déconstruction d’un espace national, 126e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Toulouse, 2001, p. 87-97. Voir aussi Halais, Jérémie, « Les conscrits du recrutement de Granville et le fait régional », dans Michaël Bourlet, Yann Lagadec, Erwan Le Gall (dir.), Petites patries… op. cit., p. 117-134 ; Halais, Jérémie, Des Normands sous l’uniforme, Bayeux, Orep éditions, 2018, 384 p

Les grandes dates de la Révolution française

Cette chronologie a été créée, initialement, pour des étudiants, comme d’ailleurs notre infographie sur les origines de la Révolution française. Il s’agissait alors de proposer aux premières années quelques repères concernant la période révolutionnaire.

Pour aller plus loin :

Quelques grandes synthèses récentes :

  • Biard M., Bourdin P., Marzagallis S., Révolution, Consulat et Empire (1789-1815), Paris, Belin, coll. Histoire de France, 2014 ;
  • Martin J.-C., Nouvelle histoire de la Révolution française, Paris, Tempus Perrin, 2019 ;
  • Tulard J., La France de la Révolution et de l’Empire, Paris, Presses Universitaires de France, 2005 ;
  • Wahnich S., La Révolution française. Un événement de la raison sensible, 1787-1799, Paris, Hachette supérieur, 2012.

Conception : Jérémie Halais – 2020 –  LaContempo.fr

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