Saint-Lô, été 1944 #1

Épisode 1 : une intense activité aérienne

À l’occasion du 80e anniversaire du Débarquement, LaContempo.fr publie une série de billets sur Saint-Lô, une ville normande emblématique durement touchée par les événements de l’été 1944. Ces articles sont le fruit de recherches menées dans le cadre d’un mémoire universitaire qui a donné lieu en 2019 à une publication aux éditions Orep, Saint-Lô 39|45 et un web-documentaire.

Dès juillet 1940, le maire de Saint-Lô rappelle « aux habitants de la ville de Saint-Lô que les prescriptions concernant les mesures de défense passive doivent toujours être rigoureusement observées. Le camouflage des lumières doit être absolu une heure après le coucher du soleil. » Il précise que « toute inobservation » des mesures de la défense passive « sera sévèrement réprimée[1] ». En septembre, sur ordre des autorités allemandes, il informe la population des règles concernant l’éclairage[2]. En novembre, un avis précise que « des sanctions rigoureuses, y compris la privation définitive ou temporaire de la lumière, seront prises contre les personnes qui contreviendraient aux prescriptions qui sont décidées dans un but de sécurité générale[3] ». Pourtant, plusieurs commerçants négligent ces instructions et « font l’objet de procès-verbaux dressés par la police[4] ». À la fin du mois, « la gendarmerie passant rue de la Marne, […] vers 21 heures, dresse des procès-verbaux pour camouflage insuffisant des lumières ». En une seule semaine, la police distribue 19 autres contraventions[5]. En décembre, la situation n’a pas évolué, et « malgré les nombreux procès-verbaux, les mesures d’obscurcissement ne sont pas encore prises avec tout le soin désirable[6] ».

En janvier 1941, les autorités sont dans l’obligation de rappeler que « dès l’émission du signal d’alerte, la population doit se rendre immédiatement dans les tranchées et abris aménagés, ainsi que dans les caves d’immeubles […] désignées. Toute autre circulation, comme tous rassemblements sur les voies et places publiques, sont formellement interdits de jour comme de nuit, tant que dure l’alerte[7]. » Au début de 1943, la Stendorskommandantur remarque que « malgré de multiples avertissements, des infractions aux prescriptions de défense passive sont journellement observées[8] ». En janvier 1944, « le camouflage des lumières à Saint-Lô est mauvais […]. Des fenêtres restent longtemps illuminées avant que la lumière soit camouflée […]. Des portes de magasins restent longtemps ouvertes de telle sorte que la lumière tombe sur la rue. Les étoffes de camouflage aux fenêtres sont dans beaucoup de cas trop étroites et usées […]. Les fenêtres vers les cours intérieures ne sont pas camouflées du tout, […] ainsi que de nombreuses fenêtres de mansardes[9]. »

Affiche de la Défense passive (coll. part.).

Affiche de la Défense passive (coll. part.).

Les abris ne semblent pas mieux respectés que les consignes sur l’éclairage ou la conduite à tenir en cas d’alerte. Il est vrai que, après l’armistice, les tranchées creusées par le comité local de la défense passive, qui « heureusement n’avaient été utilisées que pour des alertes sans conséquences », ont été comblées[10]. Mais, par la suite, les avis sont nombreux pour rappeler aux Saint-Lois « qu’il est formellement interdit de jeter dans les tranchées […] des eaux usées, matières excrémentielles, ordures, substances ou détritus de toutes sortes, de nature à constituer une cause d’incommodité ou d’insalubrité[11] ». Les abris « sont des refuges, en cas d’alertes et de bombardements, et non des latrines ou des dépotoirs. Beaucoup de personnes […] s’obstinent […] à y déposer des ordures et des détritus de toutes sortes. Dans l’intérêt public, la municipalité a dû munir ces abris de portes. La clé se trouvait déposée dans une petite cage à paroi vitrée, qu’il était facile de briser en cas de besoin. Des gamins n’ont trouvé rien de mieux, que de fracturer les cages et de dérober les clés[12]. » Au début 1944, devant l’état des tranchées abris, un architecte est chargé par la municipalité de les restaurer[13].

Pourtant, le danger aérien est réel puisque Saint-Lô connaît plusieurs attaques durant l’Occupation. Dès le 13 août 1940, une bombe incendiaire de la Royal Air Force tombe rue de la Marne[14]. Le 26 janvier 1942, un avion britannique opère deux passages au-dessus de la ville, obligeant la DCA allemande à tirer[15]. En juillet de la même année, « l’aviation anglaise fait des raids sur la région de Saint-Lô[16] ». Le 26 mars 1943, à 13 heures 30, six bombes explosives sont lâchées sur l’usine électrique d’Agneaux. Il n’y a pas de victimes mais les dégâts entraînent « dans le département une interruption complète de courant », « rétabli le jour même pour Saint-Lô, le lendemain pour le reste du département[17] ».

Nombre d'alertes sur Saint-Lô, janvier-juin 1944 (source : AD50, 7 J 402, journal de Jean Pen, janvier-juin 1944).

Nombre d’alertes sur Saint-Lô, janvier-juin 1944 (source : AD50, 7 J 402, journal de Jean Pen, janvier-juin 1944).

L’année 1944 est logiquement celle où l’activité aérienne est la plus importante à Saint-Lô. De janvier à mai 1944, un élève au collège relève dans son journal 182 alertes, soit une moyenne de 36 alertes par mois, un peu plus d’une alerte par jour. Mensuellement, l’évolution est à la hausse avec 8 alertes au mois de janvier, 3 en février, 23 en mars (début de la campagne aérienne alliée visant à détruire les voies de communication, Transportation plan), 76 en avril et 72 en mai. La journée du 24 avril 1944 constitue une journée record, avec 9 alertes[18].

En mai, le préfet confirme les observations du collégien : « Les attaques aériennes qui étaient devenues plus rares dans la première quinzaine de mars ont repris fin mars et, au cours du mois d’avril, il y a lieu de noter une intensité plus accrue que celle qui avait été enregistrée jusqu’alors. […] Il faut compter, par exemple, à Saint-Lô, une moyenne de 2 heures et demie à 3 heures d’alerte par jour. Il n’est pas rare de voir en 24 heures la ville de Saint-Lô, comme toutes celles du département, subir jusqu’à dix à douze alertes[19]. »

Vue aérienne de la ville de Saint-Lô prise par l'aviation américaine, le 6 juin 1944 avant la destruction de la ville (NARA, RG 373).

Vue aérienne de la ville de Saint-Lô prise par l’aviation américaine, le 6 juin 1944 avant la destruction de la ville (NARA, RG 373).

Devant la répétition des alertes, les Saint-Lois se lassent. Ils continuent à ne pas respecter les consignes de défense passive. Le 2 mars 1944, alors que la sirène sonne, certains Saint-Lois remarquent que « le personnel de la préfecture est en bavardage » et que, « pour tous », il s’agit d’une « récréation[20] ». Selon le préfet de la Manche, en avril-mai 1944, à Saint-Lô, « la population ne réagit plus du tout aux alertes sous prétexte que l’activité aérienne, qui se développe chaque jour davantage, ne donne pas lieu à des bombardements[21] ».

Un autocar, Manche, [1944] (NARA, RG 286).

Quelque part dans le Cotentin, un autocar, [1944] (NARA, RG 286).

Pourtant, l’aviation alliée n’épargne pas les civils. À la fin du mois de mars, le car Périers-Saint-Lô est attaqué à Rémilly-sur-Lozon. L’un des blessés décède à l’hôpital de Saint-Lô. Ces mitraillages sont qualifiés par le Courrier de la Manche de « terrorisme aérien[22] » : « Avec […] les trains journellement mitraillés, les bombardements qui se succèdent sans répit, il n’est plus prudent de voyager. Évidemment cela n’arrive pas à chaque voyageur, mais on a si peur maintenant […]. Ici les abords immédiats de Saint-Lô sont chaque jour bombardés […]. Les cars, eux aussi, sont à chaque instant mitraillés[23]. »

À la fin mai 1944, Le Messager de la Manche s’interroge sur le lien entre l’activité aérienne et les rumeurs de débarquement : « Les bombardements que l’aviation anglo-américaine fait subir à de nombreuses cités, et jusqu’à la presqu’île du Cotentin, retiennent l’attention de tous les observateurs. Ceux-ci les considèrent comme les préliminaires de la grande tentative de débarquement[24]. »


[1] Courrier de la Manche, 27 juill. 1940.

[2] Courrier de la Manche, 7 sept. 1940.

[3] Courrier de la Manche, 2 nov. 1940.

[4] Courrier de la Manche, 9 nov. 1940.

[5] Courrier de la Manche, 30 nov. 1940.

[6] Courrier de la Manche, 7 déc. 1940.

[7] Le Messager de la Manche, 18 janv. 1940.

[8] Le Messager de la Manche, 8 janv. 1943.

[9] L’Ouest-Éclair, 3 janv. 1944.

[10] Le Messager de la Manche, 20 juill. 1940.

[11] Le Messager de la Manche, 19 sept. 1941.

[12] Le Messager de la Manche, 5 juin 1942.

[13] AD50, cabinet du préfet, 127 W 75, défense passive, 1943-1944.

[14] Courrier de la Manche, 17 août 1940. AD50, fonds de l’abbé Canu, 135 J, Récit de ma captivité, s. d., tapuscrit, p. 35.

[15] AD50, 1 Mi 24, journal de L. Flattet, 26 janv. 1942.

[16] AD50, 1 Mi 24, journal de L. Flattet, 2 juill. 1942.

[17] AD76, cabinet du préfet de région, 40 W 118, rapport du préfet de la Manche, 1er mai 1943.

[18] AD50, 7 J 402, journal de Jean Pen, janvier-juin 1944.

[19] AD76, cabinet du préfet de région, 40 W 118, rapport du préfet de la Manche, 1er mai 1943.

[20] AD50, 1 Mi 24, journal de L. Flattet, 2 mars 1944.

[21] Arch. nat., ministère de l’Intérieur, administration générale, F1C III 1166, rapport du préfet de la Manche, 4 mai 1944.

[22] Courrier de la Manche, 2 juin 1944.

[23] Lettre d’Y. Dubois, 4 juin 1944, cité par Lantier M., « Saint-Lô au bûcher », dans Revue de la Manche, n 41, 1969, p. 21-22.

[24] Le Messager de la Manche, 26 mai 1944.

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