Saint-Lô, été 1944 #2

Épisode 2 : la résistance passe à l’action

À l’occasion du 80e anniversaire du Débarquement, LaContempo.fr publie une série de billets sur Saint-Lô, une ville normande emblématique durement touchée par les événements de l’été 1944. Ces articles sont le fruit de recherches menées dans le cadre d’un mémoire universitaire qui a donné lieu en 2019 à une publication aux éditions Orep, Saint-Lô 39|45 et un web-documentaire.

Le 23 janvier 1944, à Saint-Lô, rue des Noyers, deux individus auraient frappé un soldat allemand « à la tête avec un instrument contondant[1] ». Le journal Le Matin, du 8 février 1944, annonce l’arrestation à Compiègne des deux auteurs[2]. Le service de sureté (SD) de Rouen ordonne plusieurs sanctions collectives. Tous les postes de TSF de la ville sont confisqués, les lieux publics sont fermés à partir de minuit, les restaurants à partir de 19 heures 30, les représentations publiques et sportives sont suspendues et le couvre-feu est avancé à 20 heures[3]. La police allemande décide l’arrestation de 12 otages saint-lois[4].

L’Ouest-Éclair, 27 mai 1944

Le 10 mai, Jean Turmeau, responsable Francs-tireurs et partisans (FTP) dans la Manche, arrêté par la police française en février, est jugé par le tribunal militaire allemand de Saint-Lô. Il est condamné à mort puis exécuté. Son corps est inhumé en secret, le 11 mai, dans une commune proche de la ville.

Au printemps 1944, les résistants saint-lois se préparent au Débarquement. Ainsi, les agents affiliés à l’OCM remettent en état plusieurs armes, « 27 chargeurs complet de FM, 4 pistolets automatiques avec chargeurs, 2 [révolvers] 6/35 à barillet avec cartouches, 6 fusils modèles 15 transformés ». Selon Georges Dimitch, celles-ci auraient été cachées sous des fagots, dans un bâtiment du haras national, puis au commissariat où elles auraient été détruites le 6 juin lors des bombardements[5].

Le 9 mai 1944, le groupe des postiers saint-lois entend à la BBC le message « Aimer c’est vivre ». Il comprend alors qu’il va recevoir des armes. Une partie de la marchandise est dissimulée dans une ferme de Beaucoudray[6]. Les cheminots ont pour mission, le jour J, de saboter des lignes ferroviaires dans le secteur de la ville[7]. Pour ce faire, le 27 mai, à la gare, Charles Bonnel se voit remettre une valise par Jacques Bouvier[8]. Le contenu du colis, « des pétards allumeurs, [des] crayons détonateurs, [des] cordons Bickford et [des] explosifs[9] », est camouflé dans un local inutilisé, ancien bureau de l’octroi de la ville de Saint-Lô, situé dans la gare[10].

Début juin, la BBC diffuse des messages annonçant l’imminence du Débarquement. Pour les résistants, c’est le signal qu’ils doivent se préparer à l’action. La position centrale de Saint-Lô dans le réseau de communications du département, la présence de l’administration allemande et de l’état-major du LXXXIVe corps d’armée du général Marcks, sont autant de raisons d’isoler la ville. À la veille du Débarquement, cent trente-sept membres des Forces françaises de l’intérieur (FFI), soit 7,5 % des effectifs départementaux, ont été recensés à Saint-Lô ou dans les communes environnantes[11].

Les messages tombent sur les ondes à partir de 21 heures. « Les dés sont sur le tapis » déclenche le plan Vert, c’est-à-dire le sabotage des voies ferrées. Le 5 juin, vers 21 heures 30, Charles Bonnel est à l’écoute de la BBC sur son poste clandestin. En effet, depuis janvier 1944 et l’attentat de la rue des Noyers, tous les postes de TSF ont été confisqués. Jules Rihouey, son collègue et camarade, entend simultanément le même message. Il se précipite aussitôt chez son compagnon. Aidé de Jean Cadet, ils passent à l’action le 6 juin, vers 8 heures 30, et placent des charges sur les lignes de Lison à Coutances et de Saint-Lô à Torigni-sur-Vire[12]. Ils disparaissent chacun de leur côté, non sans que « les voies aient été coupées et gravement endommagées[13] ». « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux », lance le plan Violet : toutes les communications téléphoniques doivent être coupées. Marcel Richer dirige une équipe qui coupe une ligne souterraine à Hébécrevon[14].

Extrait d’un rapport rédigé par les cheminots de Saint-Lô au sujet d’un sabotage
(Arch. nat., 72 AJ 67/3).
Monument aux fusillés de Beaucoudray (cl. J. Halais).

Le message « Il fait chaud à Suez » lance les actions de guérilla de la Résistance. Des petits groupes armés doivent s’attaquer aux militaires allemands isolés. Après avoir effectué ses sabotages sur les lignes de communication aériennes et souterraines, le groupe des PTT rejoint donc le maquis de Beaucoudray. Le 6 juin 1944, dix-neuf maquisards y attendent les troupes américaines qu’ils doivent guider dans leur avancée vers Saint-Lô. Le 14 juin au matin, Berthe Leblond aperçoit une voiture allemande aux abords de la ferme où ils se sont regroupés. Elle alerte les résistants. À 10 heures, ils sont encerclés par un détachement. Les neuf résistants présents sont arrêtés. Marcel Richer, Auguste Raoult et Auguste Lesénécal réussissent à s’enfuir. Le 15 juin 1944, après avoir été interrogés, les Saint-Lois, René Crouzeau, Étienne Bobo, Auguste Lerable, Raymond Robin et Jean Samson, sont massacrés avec six autres camarades du maquis[15].


[1] Le Messager de la Manche, 4 févr. 1944.

[2] Le Matin, 8 févr. 1944.

[3] Le Messager de la Manche, 4 févr. 1944.

[4] AD14, cour de justice, 991 W 98/470 B. AD50, direction des RG, 1580 W 30/8181.

[5] AD50, fonds M. Leclerc, 129 J 35, témoignage de G. Dimitch, 1er et 28 déc. 1967.

[6] « Témoignage de Berthe Leblond », Ouest-France, 7 sept. 1944.

[7] AD50, fonds M. Leclerc, 129 J 35, rapport de C. Bonnel, s. d.

[8] Arch. nat, comité d’histoire de la seconde guerre mondiale, 72 AJ 67/3, rapport de C. Bonnel, s. d.

[9] AD50, fonds M. Leclerc, 129 J 35, témoignage de J. Bouvier, 27 sept. 1968.

[10] AD50, fonds M. Leclerc, 129 J 35, rapport de C. Bonnel, s. d.

[11] Fichiers « résistants CVR et non CVR » de M. Boivin.

[12] AD50, fonds M. Leclerc, 129 J 28, rapport de J. Rihouey, s. d.

[13] AD50, fonds M. Leclerc, 129 J 35, rapport de C. Bonnel, s. d.

[14] AD50, fonds M. Leclerc, 129 J 38, rapport de M. Richer, 3 mai 1967. Les 12 otages sont MM. Michel Botrel, contrôleur PTT, Robert Camy, employés dans les services de la main-d’œuvre, Léon Doublet, couvreur, Joseph Du Parc, avoué, René Horel, débitant à Agneaux, René Huck, marchand de poissons, Jean Marie, inspecteur aux contributions directes, Roger Lebatteur, coiffeur, Jacques Pinaud, fonctionnaire, Étienne Rolley, professeur au collège municipal, Maurice Tourgis, cimentier et René Toulorge, manœuvre.

[15] AD50, fonds M. Leclerc, 129 J 38, lettre de B. Leblond, 2 janvier 1945 ; enquête orale réalisée par les Archives de la Manche, 99 AV1154, témoignage de R. Abdon le 24 janvier 2002.

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